L'institution littéraire

Publié le par Balpe

La joie qu’avait Marc Hodges à être reconnu dans le petit milieu littéraire — de la littérature d’avant-garde, de recherche, des vrais écrivains dont les seuls lecteurs étaient des pairs, — les écrivains eux-mêmes — le système fonctionnant, pour l’essentiel, en promotions réciproques — ne dura pas. Lorsqu’il se regardait dans son miroir, Marc Hodges était ainsi sans cesse renvoyé à la question centrale : pourquoi écrivait-il ? S’il ne se posait pas la question «pour qui?», c’est parce qu’il était persuadé que la réponse était à trouver bien plus dans la pragmatique éditoriale — ce qu’il appelait le «dispositif» — que dans sa qualité personnelle d’écriture. C'est aussi parce qu'elle le renvoyait au pourquoi… Son interrogation était beaucoup plus égoïste, elle ne concernait que sa pratique personnelle. Il écrivait, il était persuadé de l’avoir toujours fait, il se souvenait enfant n’avoir jamais pu s’endormir sans se raconter une histoire de son invention. Il se souvenait avec volupté de ces longs moments où, se cachant sous ses draps pour être dans un isolement sensoriel parfait, il s’abstrayait du monde s’immergeant dans celui qui ne dépendait que de son imagination, où l’univers entiert se pliait à ses désirs.

Cette question était donc triple : pourquoi avait-il ce besoin de se créer un monde à lui? Pourquoi, adulte, ce besoin n’avait-il pas disparu? Et pourquoi avait-il besoin de le communiquer à d’autres? Il aurait en effet pu s’enfermer dans son monde impossible, vivre sa vie dans cette autoconstruction où il se sentait bien. Mais il savait en même temps — parce que chez lui la tentation du retrait (que l’on trouvait chez plusieurs de ses personnages) était forte — qu’il était là au bord de la folie, risquait de tomber dans une forme d’autisme, d’enfermement, de négation du monde. Il n’en était pas encore là…  Et pourtant il éprouvait toujours une grande volupté à imaginer puis à transposer en mots son imaginaire. Il savait maintenant — la vie se chargeait sans cesse de le lui rappeler — que l’image sociale de l’écrivain n’était qu’une image fausse, boursouflée, une image publicitaire qui n’intéressait que le marketing. Vendre des livres, cela seul comptait et tous ces écrivains qui remplissaient les manuels scolaires, n’étaient pour la plupart que des statues figées plantées au milieu d’un parc la plupart du temps solitaire et que, personne, dans sa promenade ne regarde. Seule, ce qu’il appelait désormais la mafia littéraire, y trouvait son compte ; l’image de l’écrivain ne servait guère qu’à atteindre deux buts : faire du commerce et, but secondaire mais cependant indispensable au premier, maintenir une institution littéraire — professeurs, chercheurs, critiques, membres de jurys, éditeurs…— dont le seul travail était de maintenir artificiellement l’image d’une littérature comme valeur primordiale. Ce serpent se mordait la queue…

Pourtant Marc Hodges éprouvait toujours une étrange volupté à créer des mondes de mots, il y consacrait une bonne part de son temps, en vivait presque.

Publié dans Marc Pérignon

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